Marx, à mesure-30: Contribution à la critique de l’économie politique

Marx, à mesure11 avril 2022

La parution, en juin 1859, à Berlin, de la Contribution à la critique de l’économie politique constitue un événement dans la vie intellectuelle et militante de Marx.

 

Depuis la publication, en avril 1849, dans la Neue Rheinische Zeitung, des pages qui reproduisaient les conférences prononcées par lui, à Bruxelles, en décembre 1847, devant l’Association des travailleurs allemands, et qui ne seront rééditées par Engels qu’en 1891 sous le titre de Travail salarié et capital[1], cette parution marque son retour sur la scène éditoriale dans le domaine de l’économie politique.

 

Or, l’ouvrage n’aura aucun succès.

 

Dans sa lettre à Engels du 23 décembre 1859, Jenny Marx parle « de conspiration du silence » : « Les secrets espoirs que, pendant longtemps, nous avions investis dans le livre de Karl ont été anéantis par cette conspiration du silence des Allemands dans laquelle les seules brèches furent quelques misérables articles dans des feuilletons littéraires qui ne parlaient que de la préface et non du contenu scientifique[2]. ». Le 06 novembre 1859, Marx écrit à Ferdinand Lassalle : « Tu te trompes en pensant que je m’attendais de la part de la presse allemande à des éloges; cela ne me fait ni chaud ni froid. J’attendais des attaques, des critiques, tout, sauf qu’on le passe complètement sous silen­ce, ce qui va sans doute sérieusement nuire à sa diffusion. Ces gens-là n’avaient–ils pas pourtant à diverses occasions déversé des tom­bereaux d’injures sur mon communisme : on pouvait donc s’attendre à ce qu’ils s’ex­pri­ment avec toute science sur son fondement théorique[3]. ».

 

Cet échec éditorial aura pour résultat l’arrêt, par son éditeur Franz Duncker, de la suite prévue de la publication de ses travaux, en particulier des chapitres sur le capital[4].

 

 

 

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La rupture du contrat éditorial avec F. Duncker n’est pas sans conséquence sur la lecture de la Contribution.

 

Marx envisageait, en effet, une publication immédiate de son deuxième fascicule consacré au capital lui-même. Il le précise dans sa lettre du 12 novembre 1858 à Ferdinand Lassalle, à qui il écrit : « Une autre chose dont il ne faut pas que tu parles avant l’arrivée du manuscrit : il est probable que la première section « Le capital en général » représentera tout de suite 2 fascicules, car en le rédigeant, je trouve que sur ce point, là où il s’agit d’exposer la partie précisément la plus abstraite de l’économie politique, une trop grande concision rendrait la chose indigeste au public. Mais d’un autre côté, cette 2e section devrait paraitre en même temps. La cohésion interne l’exige, et tout l’effet en dépend[5]. ».

 

De même, dans sa lettre à Engels du 15 janvier 1859, il confie à son ami : « Le manuscrit représente environ 12 placards d’imprimerie (3 fascicules) et – tiens-toi bien – malgré son titre « Le capital en général », ces fascicules ne contiennent encore rien sur le capital, mais seulement les deux chapitres : 1. La marchandise, 2. L’argent ou la circulation simple. Tu vois donc que la partie élaborée en détail (en mai lorsque je suis venu te voir) n’y figure pas encore. C’est bien, à un double point de vue. Si la chose a du succès, le 3e chapitre sur le capital pourra suivre rapidement. Deuxièmement comme pour la partie publiée, d’après la nature même du sujet, ces chiens ne pourront borner leur critique à de simples insultes contre notre tendance et comme l’ensemble a une allure extrêmement sérieuse et scientifique, j’oblige la canaille à prendre ultérieurement plutôt au sérieux mes idées sur le capital. Indépendamment de tous ces objectifs pratiques, je pense d’ailleurs que le chapitre sur l’argent intéressera les spécialistes[6]. ».

 

On le constate : le titre général du premier livre annoncé « Du Capital » est quelque peu trompeur.

 

L’étude de Marx dans cet ouvrage se limite, en effet, à la mise en place des catégories générales de l’économie marchande sans aborder les spécificités du mode de production capitaliste. Il résulte que, de l’aveu de Marx lui-même, manque dans cette étude « la quintessence » de son travail, ce qu’il confie à Ferdinand Lassalle dans sa lettre du 30 janvier 1860[7].

 

Insistons néanmoins sur l’importance, dans l’exposé par Marx des fondamentaux de l’économie politique (les catégories de valeurs d’usage et d’échange et celle d’équivalent général au principe de la monnaie), du concept central de travail abstrait qui constitue l’un de ses principaux apports théoriques. Marx ne manquera pas d’insister sur cette avancée conceptuelle : « J’ai été le premier, écrit-il dans Le Capital, à mettre le doigt, de manière critique, sur cette nature bifide du travail contenu dans la marchandise[8]. ». « De manière critique », précise-t-il[9] : une incise qui, même si discrètement, souligne à la fois la reprise d’une distinction établie par David Ricardo et son dépassement en vue des futures analyses de l’extraction capitaliste de la plus-value.

 

 

 

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Nous avons déplacé en fin de fascicule les trois chapitres respectivement intitulés A. Considérations historiques sur l’analyse de la marchandise, B. Théories sur l’unité de mesure de la monnaie et C. Théories sur les moyens de circulation et la monnaie.

 

Ces chapitres érudits sont d’une lecture difficile. Marx y concentre, en effet, ses notes de travail et multiplie, de manière souvent très cursive, les références aux précurseurs et principaux auteurs de l’économie dite classique, de William Petty et John Locke à John Law, David Hume, James Steuart, Adam Smith, David Ricardo, Thomas Tooke et maints autres.

 

Une présentation pédagogique de ces œuvres aurait exigé un travail trop exigeant. Nous renvoyons donc sur cette matière complexe aux encyclopédies de référence, à Wikipédia et à Universalis en particulier.

 

 

 

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Nos éditions de référence :

 

 

– Les Editions du progrès, Moscou, 1975.

– Editions sociales, Paris 1977[10], avec un Avertissement d’Emile Botigelli.

– Editions sociales, La Geme, Paris 2014, avec une Préface et une Postface de Guillaume Fondu.

 

Signalons également la traduction de la Contribution par Laura Lafargue, parue en 1909 à Paris aux éditions V. Giard & E. Brière, Libraires-Éditeurs. En ligne sur le site de Gallica.

 

 

 

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Enfin, cette vue d’ensemble sur la table des matière de l’ouvrage de Marx.

 

 

Préface

 

PREMIER LIVRE : Du capital

 

PREMIÈRE SECTION : Le capital en général

 

CHAPITRE PREMIER. – LA MARCHANDISE

 

  1. Considérations historiques sur l’analyse de la marchandise

 

Chap. II – LA MONNAIE OU LA CIRCULATION SIMPLE

 

  1. Mesure de valeurs

 

  1. Théories sur l’unité de mesure de la monnaie

 

  1. Moyen de circulation

 

  1. a) La métamorphose des marchandises
  2. b) La circulation de la monnaie
  3. c) Le numéraire. Le signe de valeur

 

III. La monnaie

 

  1. a) Thésaurisation
  2. b) Moyen de paiement
  3. c) Monnaie universelle

 

 

  1. Les métaux précieux

 

  1. Théories sur les moyens de circulation et la monnaie

 

 

 

 

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Et, pour rappel, nos principales abréviations :

 

 

– C, suivi du numéro de volume : Marx Engels, Correspondance, Editions sociales, 13 volumes parus.

– MEGA, suivi du numéro de volume : Karl Marx Friedrich Engels, Gesamtausgabe, Institut für Marxismus-Leninismus beim ZK der SED / der KPdSU, Dietz Verlag Berlin. (Herausgegeben von der Internationalen Marx-Engels-Stiftung Amsterdam), 79 volumes parus.

– MECW, suivi du numéro de volume : Karl Marx Frederick Engels Collected Works, Lawrence & Wishart Electric Book, 50 volumes parus.

– MEW, suivi du numéro de volume paru : Karl Marx, Friedrich Engels, Werke, Institut für Marxismus-Leninismus beim ZK der SED, Dietz Verlag Berlin, 46 volumes parus.

[1] Pour le détail, nous renvoyons à notre fascicule 9.

[2] C5, p. 452.

[3] C5, p. 410.

[4] Ce n’est qu’à partir de 1863 qu’interrompu par l’affaire Vogt, Marx reprendra ses travaux économiques.  Le Capital ne paraîtra qu’en 1867.

[5] C5, p. 233.

[6] C5, pp. 248-249.

[7] « Mon ouvrage d’économie politique, lui écrit-il, – quand le deuxième fascicule sera paru, ne contiendra que la fin de la section I du Livre I, et il y aura 6 livres. Tu ne peux donc pas attendre qu’il soit achevé. Cependant, il est de ton propre intérêt d’attendre le fascicule suivant qui contient la quintessence. S’il n’est pas encore à Berlin, c’est la faute de circonstances effroyables. » (C6, p. 15). (Fin janvier 1860, F. Lassalle annonçait à Marx qu’il envisageait de surseoir à ses propos travaux d’économie politique avant la publication complète du livre de Marx : « Maintenant que tu as commencé à paraitre le premier, lui confiait-il, je dois, je crois, également attendre que tu aies paru jusqu’à la fin. » (Correspondance Marx Lassalle, PUF, Paris 1977, p. 275).

[8] Le Capital, Livre I, p. 45 de l’édition revue par Jean-Pierre Lefèvre. Editions sociales. Les essentielles, Paris 2016.

[9] Cette précision est absente de la version française de 1872-1875 traduite par Joseph Roy qui donne à lire : « J’ai, le premier, mis en relief ce double caractère du travail représenté dans la marchandise. » (Le Capital, Livre premier, Editions sociales, Paris 1971, tome I, p. 57).

[10] En ligne sur le site des « Classiques des sciences sociales » (à l’adresse classiques.uqac.ca).

À télécharger

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