Marx, à mesure – 27 : Grundrisse(3) – Le chapitre du capital

Marx, à mesure4 septembre 2020

Le présent fascicule se propose de centrer l’attention sur la première section du chapitre du capital des Grundrisse.

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Rappelons d’abord que ce chapitre est resté inédit.

Le projet d’une publication par fascicules successifs s’est interrompu, en effet, après la parution, en juin 1859, de la Contribution à la critique de l’économie politique, autrement dit, sous ce titre, du seul « Chapitre de l’argent » des Grundrisse.

Cette interruption était certes envisagée par l’éditeur Franz Duncker qui s’en était réservé le droit en cas d’insuccès de l’œuvre1.

Marx ne projetait pas moins d’inclure dans cette première livraison les analyses sur le capital, ainsi qu’il le précise à Ferdinand Lassalle dans sa lettre du 11 mars 1858 : « La première livraison devrait, en tout état de cause, constituer un ensemble relatif et comme elle doit contenir les fondements de l’ensemble du développement, il lui serait difficile de faire moins de 5-6 placards. Cependant, je verrai cela lors de la mise au point finale. Elle comprend : 1. Valeur, 2. Argent, 3. Le capital en général (le procès de production du capital, le procès de circulation du capital, l’unité des deux, ou capital et profit, la rente). Cela forme une brochure indépendante2. ».

L’échec éditorial de la Contribution3 explique pour une part l’arrêt de la publication.

Cette interruption trouve cependant sa principale raison dans les scrupules d’auteur de Marx, sans cesse soucieux de reporter les analyses qu’il estime encore inaccomplies. Cela transparait dans sa lettre à Ferdinand Lassalle du 28 mars 1859, laquelle lui annonce une matière singulièrement restreinte : « Tu verras, lui écrit-il, que la première partie ne comprend pas encore le chapitre principal, c’est-à-dire le troisième, qui traite du capital. J’ai pensé que c’était préférable pour des raisons politiques, car c’est avec le chapitre III que commence la véritable bagarre, et il m’a paru avisé de ne pas effrayer de prime abord4. ».

Il faudra donc attendre encore près de dix ans pour que « commence la véritable bagarre ».

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Le premier chapitre « de l’argent » avait pour objet la circulation simple, soit l’ensemble des échanges entre équivalents, des échanges librement accomplis, contractuellement, entre des propriétaires.

Ce deuxième chapitre montre que la richesse accumulée est le fruit de l’exploitation du travail salarié5.

La démonstration de Marx va s’appliquer à expliquer que tout se joue dans le processus de la production par la mise en œuvre d’un surtravail non rémunéré. L’apparence contractuelle de l’engagement salarial dissimule en vérité un mécanisme d’extorsion, actif lorsque, au cours de la journée de travail, l’ouvrier cesse de produire pour l’équivalence de son salaire et se voit contraint de dépenser gratuitement sa force productive pour la création d’une survaleur dont s’accapare le capitaliste6.

Surtravail et survaleur, ces deux concepts constituent le principal apport théorique de ce chapitre des Grundrisse7.

Cette découverte emprunte toutefois dans les pages que nous allons lire bien des détours, polémiques souvent, pour établir la réalité de ce qui fait la différence entre les deux circulations de la valeur, la circulation marchande simple, d’une part, de type M-A-M, et, d’autre part, la circulation survalorisante de type A-M-A’, celle-là même du capital.

Des détours, oui, qui sollicitent l’attention, mais avec d’autres gains, comme l’approche de ces deux concepts de survaleur absolue et relative dans leur rapport avec les notions qui se profilent de capital constant et de capital variable.

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Si abstraites et en même temps si proches de la condition ouvrière, ces analyses trouvent éminemment leur place dans la vie de Marx à côté de ses publications de presse.

Et parmi celles-ci, deux articles parus les 22 et 28 avril 1857 dans le New York Daily Tribune, l’un sur La condition des ouvriers d’usine, l’autre sur Le système industriel anglais.

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Enfin le cahier des Tranches de vie concerne, cette fois, l’année 1859.

1 Ce sont les termes de l’échange de correspondance des 3 et 11 mars 1858 entre Lassalle et Marx (Correspondance Marx Lassalle, PUF, Paris 1977, pp. 156-157 et 157-158). Marx envisageait à cette date la parution d’un « troisième fascicule » : « L’éditeur, écrivait-il, a le droit d’interrompre la publi­cation à la deuxième livraison. Mais il doit me le notifier en temps utile. Il doit d’abord conclure avec moi un véritable contrat au cas où il voudrait imprimer le troisième fascicule en plus d’une livraison. »  (Op.cit., p. 157).

2 Op.cit., p. 158.

3 A l’exception de deux recensions par Engels parues à Londres, les 6 et 20 août 1859, dans Das Volk, l’ouvrage n’a connu aucun écho dans la presse allemande de l’époque.

4 Op.cit., p. 206.

5 Les carnets de travail de Marx permettent se situer la rédaction de ces pages entre le 15 novembre et le 15 décembre 1857. Une période de travail intense comme en témoignent ces deux lettres à Engels, l’une du 08.12.57 : « Je travaille comme un fou des nuits entières à condenser mes études écono­miques, de façon à en avoir mis au net au moins les linéaments essentiels avant le déluge. » et l’autre, du 18.12.57 : « J’abats un travail gigantesque – le plus souvent jusqu’à 4 heures du matin. Ce travail est de deux sortes : 1. Elabo­ration des Traits fondamentaux de l’Eco­nomie politique (il est absolument nécessaire d’aller au fond de la chose pour le public, et pour moi personnellement, de me débarrasser de ce cauchemar. 2. La crise actuelle. »  (C5, p. 78 et p. 89).

6 « ce grand secret de la société moderne », écrira Marx au terme du chapitre VI du Livre I du Capital (p. 136 de l’édition de poche Garnier Flammarion, Paris 1969).

7 Ils n’apparaissent pas comme tels dans les analyses de Travail salarié et Capital de 1848/49. Cf. sur ce point notre fascicule 9.

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