Du mouvement ouvrier aux Gilets jaunes. Actualité de l’Etat d’exception….

Analyse27 décembre 2020 |

Au sens premier du terme, l’État d’exception fait référence à une disposition nommée diversement selon les États. État de Siège en Belgique et en France ou « loi martiale » en Angleterre, elle permet au souverain de suspendre l’application de la Constitution en situation de menace existentielle pour l’ordre politique. Mais le terme d’exception est aussi utilisé pour caractériser une série de lois, mesures, pratiques du souverain qui dérogent ponctuellement au fonctionnement ordinaire du droit, voire sont illégales. Le concept d’État d’exception lui-même a été élaboré à l’époque de Carl Schmitt (1888-1985), juriste allemand, à qui l’histoire en accorde souvent la paternité. Schmitt écrit dans la période de crise que traversent la plupart des États constitutionnels de l’entre-deux-guerres. Il est, en effet, de plus en plus évident que la notion d’État d’exception s’avère de plus en plus utile  pour appréhender la transformation en cours des régimes politiques occidentaux. Pour Schmitt, la reconnaissance progressive à travers la construction d’un droit des gens au cours des XVIme et XVIIème siècle de la qualité d’ennemi juste, c’est-à-dire un ennemi à qui il était notamment reconnu des droits dans la guerre, s’arrêtait aux frontières des pays du « centre », c’est-à-dire des pays chrétiens. À l’encontre des peuples dits « barbares » (la droite états-unienne parle aujourd’hui d’Etats voyous), c’est-à-dire les pays au-delà des lignes tracées par les puissances coloniales, toutes les pratiques prohibées étaient autorisées. En outre, pour Schmitt, et c’est là la contradiction qu’il soulève entre la démocratie libérale et sa prétention à une universalisation des droits, les démocraties ont généralement toujours eu des catégories d’esclaves ou à tout le moins d’hommes privés totalement ou partiellement de droits. Schmitt évoque, à ce propos, la démocratie athénienne esclavagiste. Les mutilations de centaines de Gilets Jaunes par les grenades ou les tirs de LBD constituent, dans cette optique, le prix à payer pour le maintien des valeurs essentielles de la démocratie libérale. La tradition socialiste avait repéré cette négation des droits dans le statut des prolétaires au XIXème siècle.  Le penseur marxiste Walter Benjamin, à partir des mêmes prémisses, n’envisageait pas les choses de la même façon. Puisque les dominants sont habilités à dire le droit jusque dans sa suspension à travers la pratique de l’Etat d’Exception-répression, il ne reste plus aux dominés qu’à dire sans relâche l’exception afin de faire advenir un Etat d’Exception-émancipation. Le niveau de violence actuel de l’Etat d’Exception des démocraties libérales, des Gilets Jaunes au mouvement Black Lives Matter, ressuscite, à titre de salutaire contre-coup dialectique, la contribution décisive de Walter Benjamin au grand récit de l’émancipation humaine toujours à advenir. Tout n’est finalement pas si noir en cette période…

 

 

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